Guérison du VIH : le rêve réapparait dans les éprouvettes !
Une alliance internationaleC’est un espoir pour nous tous, un vieux rêve auquel on n’osait presque plus croire : guérir ! Mais, c’est le moment d’y croire à nouveau, selon notre prix Nobel de médecine 2008, la chercheuse française Françoise Barré-Sinoussi. En février 2011, 28 ans, presque jour pour jour, après avoir identifié le virus, elle a lancé une Alliance scientifique internationale pour booster ces recherches d’un traitement curatif, et les remettre sur le devant de la scène.
Ils sont peut-être plus simples à prendre, mieux tolérés, plus efficaces, et pris suffisamment tôt empêchant la survenue du sida et
permettant une espérance de vie quasi normale, il n’empêche : les antirétroviraux (ARV) restent des traitements à vie, et l’infection à VIH
reste une infection incurable. Malgré une charge virale contrôlée depuis des mois ou des années, arrêter le traitement entraine une
reprise de la réplication du virus dans les jours ou semaines qui suivent. Ce que les médecins appellent le "rebond viral".
D’où vient la charge virale résiduelle ?
Aujourd’hui, dans les pays industrialisés, en moyenne 80 % des personnes traitées ont une charge virale indétectable, c'est-à-dire
inférieure à 50 copies/ml de sang - un chiffre qui monte à 87 % en France.Mais si on regarde en dessous de ce seuil des outils de suivi de routine, on s’aperçoit qu'il reste toujours du virus à un niveau extrêmement faible, 10 à 20 copies/ml, parfoismoins. C'est la charge virale résiduelle.
D’où vient-elle ? Trois sources sont possibles :1) D’abord, l’existence de réservoirs anatomiques, endroits du corps (comme le cerveau et le tube digestif) où les médicaments
anti-VIH ne pénètrent pas bien, et où le virus pourrait donc continuer de se multiplier discrètement.
2) Ensuite, une réplication résiduelle persistant malgré les antirétroviraux (ceux-ci étant efficaces à 99,9 %, mais pas à 100 %),
sachant que l’activation immunitaire joue un rôle dans la persistance de la réplication.
3) Enfin, et surtout, l’existence de cellules dites "réservoirs" (Voir “Pour y voir plus clair”, Remaides N° 76, automne 2010) qui ont
trois propriétés en faisant des alliées pour le VIH : elles contiennent du VIH "endormi", ne se répliquant pas, et donc inaccessible aux
antirétroviraux, elles sont non repérables par notre corps, et elles ont une très longues durée de vie. Enfin, à la faveur d’une stimulation
quelconque, elles se réactivent, et se mettent à produire de nouveaux virus, qui en l’absence de traitements anti-VIH, "colonise" à nouveau l’organisme.
Une aiguille dans une botte de foin.Une des pistes de recherche actuelle ? Détruire les cellules réservoirs. Plus facile à dire qu’à faire ! D’abord, les réservoirs sont des cellules rares : 1 sur 10 000 voire 1 sur 100 000. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. De plus, elles sont très diverses (nombreux types différents de CD4, cellules dendritiques, macrophages, astrocytes, sans compter que le tube gastro-intestinal est aussi un réservoir important…), ce que les chercheurs ont découvert récemment.
Face à ces défis, les chercheurs ciblent deux objectifs : le premier, c’est le remède stérilisant qui consisterait à éliminer totalement les virus de l’organisme, au point qu’on ne puisse plus les détecter, même avec les techniques les plus sensibles disponibles. Un objectif évidemment très ambitieux. Alors, les chercheurs ont revu leurs prétentions à la baisse : une rémission fonctionnelle, consistant en une charge virale restant indétectable pendant des années sans avoir à prendre d’antirétroviraux, et sans risque de transmission aux partenaires
sexuels, serait déjà un immense progrès.
Intensifier les antirétroviraux ne suffit pas !On sait qu’ajouter des antirétroviraux supplémentaires à une trithérapie déjà efficace (quadri ou pentathérapie, soit quatre ou cinq antirétroviraux) ne suffit pas. De nombreux essais cliniques ont été menés. Tous très décevants. On sait désormais que cette approche ne suffira pas à elle seule. D’autant que les virus qui restent présents de manière résiduelle sous antirétroviraux n’ont pas de mutations qui apparaissent au cours du temps, alors qu’on devrait en voir survenir en cas de réplication continue.
Une stabilité plutôt compatible avec l’idée d’un stock établi de virus qui se viderait. C’est vers plusieurs autres stratégies que les chercheurs concentrent leurs efforts :
- Eliminer les cellules réservoirs (les cellules latentes).
- Rendre les cellules résistantes au VIH.
- Favoriser des réponses immunitaires efficaces contre le VIH.
Pour tout savoir de ces pistes, suivez le guide !Piste 1 : Favoriser des réponses immunitaires
efficaces contre le VIH Il s’agirait de "booster" l’immunité, de la renforcer, pour lui permettre de contrôler le VIH. Le virus resterait présent, mais ne serait pas délétère. La tâche est complexe car le fonctionnement précis du système immunitaire est encore assez mal compris. Modèle ? Les contrôleurs du VIH (ou HIV-controllers) : moins de 0,3 % de la population, dont on cherche à comprendre les spécificités du système immunitaire (la façon, notamment dans leurs CD8 fonctionnent). On sait déjà qu’elles ont des profils génétiques particuliers. En France, une cohorte ANRS-CODEX qui étudie ces personnes devrait permettre d’en savoir plus.
Traiter très tôt. Une des pistes les plus avancées serait, de façon assez empirique, de savoir si commencer les antirétroviraux sitôt après l’infection pourrait empêcher la constitution des réservoirs et la destruction des capacités du système immunitaire à combattre le VIH. La La virologue Christine Rouzioux (Hôpital Necker, Paris) a repéré que certaines des personnes qui, après avoir commencé le traitement anti-VIH pendant la phase de primo-infection, l’ont interrompu par la suite, gardent une charge virale indétectable, alors qu’elles ne prennent plus d’antirétroviraux depuis plusieurs années. Elle les a appelées les patients Visconti (en anglais, contrôle virologique à long-terme après une interruption de traitement).
Pour l’instant, on sait simplement que leur niveau de virus dans les réservoirs est très bas ; une étude est réalisée pour comprendre leurs spécificités. Un essai clinique, ANRS-Optiprim, est en cours pour reproduire cette observation : les 90 personnes ont commencé les antirétroviraux jusqu’à huit semaines après l’infection, pour deux ans.
Vaccins thérapeutiques.Autres pistes connues de longue date : des vaccins thérapeutiques (plusieurs sont évalués de façon préliminaire chez l’homme,mais les résultats, y compris les derniers sur les cellules dendritiques, présentés à la CROI 2012, sont décevants). Un vaccin – Vac 3s – d’un design un peu différent est testé en France (Hôpitaux Cochin et Pitié-Salpétrière, à Paris) : cette fois, il s’agit de tenter de réduire la destruction des CD4 par le VIH. Pas suffisant pour une éradication, mais un outil qui pourrait être complémentaire aux antirétroviraux.
Interleukines.Autre piste : celle des molécules régulant l’immunité (les interleukines). Parmi ces dernières, l’essai Eramune-01 évalue l’effet de l’interleukine 7 (IL-7) qui est prometteuse d’après les études chez l’animal.Mené en Europe, sur des personnes ayant aumoins
trois ans de trithérapie, avec une charge virale de moins de 500 copies/ml et plus de 350 CD4/mm3. Mais certains critiquent la
tenue des essais sur l’IL-7 (qui s’administre par injection), car les résultats sur une autre interleukine, l’IL-2, n’avaient montré aucun
bénéfice clinique, (essais ESPRIT, SILCAAT, etc.). Là où l’IL-2 active l’immunité (agit en quantité), l’IL-7 est supposée réactiver seulement
les cellules-réservoirs (agit en qualité) et permettre leur destruction par le système immunitaire. Les chercheurs sélectionnent des personnes ayant déjà des réservoirs viraux faiblement remplis. Enfin, selon une étude de la CROI 2012, on peut contrôler quelques temps la réplication du VIH en injectant de l’interféron. Ceux qui l’ont testé contre l’hépatite C apprécieront : c’est un traitement lourd ! Il s’agit plus ici d’une preuve de concept qu’on peut contrôler,mais pas d’une réelle piste de traitement
contre le VIH.
Piste 2 : Eliminer les cellules réservoirs (les cellules latentes).Tout le problème est de trouver une molécule susceptible d’agir sur toutes les cellules réservoirs sans faire trop de dégâts aux alentours. Les chercheurs ciblent notamment des molécules déjà commercialisées dans le traitement d’autres maladies, ce qui permet d’avoir une bonne idée de leurs effets indésirables – autant de temps gagné et une meilleure sécurité pour les personnes.
Des essais cliniques ont déjà été menés avec deux grandes familles de molécules : les inhibiteurs de méthylation (notamment
l’azacytidine) et surtout les inhibiteurs de HDAC ("histone déacétylases"), comme le vorinostat (ou SAHA) et l’acide valproïque.
Cette famille de molécules, déjà utilisée dans le traitement du cancer, est capable de dérouler l’ADN, ce qui réveille le virus endormi.Deux essais sontmenés avec le vorinostat, commercialisé sous le nomZolinza par Merck, pour traiter des cancers de la peau.
Réactiver le réservoir, c’est possible !C’était le scoop de la CROI 2012 : la première preuve, chez l’humain, qu’on peut activer le réservoir du VIH ! Dans cette étude américaine, six personnes ont reçu une dose de vorinostat, c’est tout ce qui a été autorisé, par sécurité ! On a vu une stimulation des réservoirs, sans augmentation de la charge virale dans le sang (même avec des tests ultra-sensibles). Et pas d’effets indésirables graves avec cette dose unique. Dans un second essai à Melbourne (14 jours sur quelques dizaines de personnes), le vorinostat a semblé sans effet grave, capable d’activer un certain nombre de cellules réservoirs sans provoquer de rebond de la charge virale. La prise des ARV ne doit pas être interrompue pendant que ces molécules anti-latence sont utilisées. Hélas, pour l’acide valproïque, les résultats ont été décevants. De même que pour le disulfiram : ce médicament (Esperal) est utilisé dans la gestion des problèmes d’alcool. In vitro, il semblait capable de
réactiver les réservoirs, par un mécanisme mystérieux ! Mais quasi aucune activation chez quelques personnes vivant avec le VIH aux Etats-Unis. Reste que l’espoir, pour faire face à la diversité des réservoirs et obtenir des effets cumulés, c’est d’utiliser ces agents anti-latences en cocktail. Certainesmolécules qui, données une par une, n’ont qu’un faible effet, semblent capables, combinées in vitro, de réactiver fortement les réservoirs.Mais attention au "cocktail" d’effets indésirables. Signe de perspectives crédibles : l’industrie pharmaceutique est sur les rangs, chacun disant avoir disposé d’un plan de développement "cure".
Purger ne suffit pas.Plusieurs équipes essaient de concevoir des modèles in vitro les plus efficaces possibles pour voir comment mesurer l’activation
du VIH dans les cellules réservoirs, ou comment les "tuer". Liang Shan (Université John Hopkins, Etats-Unis) a montré que réactiver
le réservoir (par exemple, grâce au vorinostat) ne signifie pas automatiquement l’éliminer. Il faut, en plus, stimuler l’immunité
de façon ciblée (les cellules dites "Natural Killers"). Des chercheurs essaient de bloquer, grâce à des anticorps, la protéine PD-1 utilisée par le virus pour échapper au contrôle immunitaire.
Chez des singes, cela a permis de contrôler la réplication du virus chez certains individus (et certains seulement) après interruption
du traitement.
Les quinolines-8-ol.D’autres modèles de cellules-réservoirs ont été présentés. Ils ont permis de faire des tests systématiques dans des bibliothèques de molécules afin d’identifier des molécules candidates. (C’est ainsi qu’on avait trouvé l’activité anti-VIH de l’AZT en 1985, qui avait échouée contre le cancer dans les années 50). Bingo : une nouvelle famille, celle des quinolines-8-ol.
Piste 3 : rendre les cellules résistantes au VIH.Il s’agit de rendre par la thérapie génique, le système immunitaire résistant au VIH. Si l’on en parle depuis longtemps, on a eu, l’an
dernier, les premiers résultats chez l’homme. Ces ciseaux moléculaires, les "nucléases aux doigts de zinc" de l’entreprise de biotechnologie Sangamo, sont capables de supprimer les gènes codant pour les co-récepteurs CCR5, les portes d’entrée du VIH dans les cellules. L’idée est inspirée par les personnes porteuses d’une mutation génétique rare (moins de 0,3 % de la population générale), la double mutation Delta 32, qui conduit à l’absence de co-récepteurs CCR5 fonctionnels sur la cellule. Ces personnes sont donc naturellement résistantes au VIH.
Greffe de moelle résistante au VIH.En 2008, avec les résultats inédits du "patient de Berlin" (Timothy Ray Brown, de son vrai nom) une personne séropositive atteinte d’une leucémie à été guérie. Pour la soigner, les médecins ont détruit toutes les cellules de sa moelle osseuse avant de lui greffer celle…d’une personne porteuse de la double mutation Delta 32. C’est une procédure lourde. Toutes ses cellules immunitaires ont été remplacées. Il vient de fêter ses six ans de vie sans VIH : on ne trouve plus trace de virus dans son organisme. Il est la première personne, a avoir guéri de l’infection à VIH. Avant d’autres peut-être ? Une deuxième personne (elle aussi atteinte d’un lymphome en plus du VIH) a déjà bénéficié du même protocole, en Californie, et une poignée d’autres pourrait le faire également.
Les résultats ne sont pas encore connus.
Thérapie géniquePlusieurs pistes de thérapie génique sont envisagées : cibler les CCR5 des cellules CD4, cibler les CCR5 des cellules de moelle osseuse (à l’origine des cellules sanguines, dont les CD4), ou les co-récepteurs CXCR4 utilisés par certaines souches de VIH. A la Quest Clinical Research, à San Francisco, les chercheurs ont commencé à tester (en phase 1) chez l’homme des ciseaux à CCR5 en ciblant les CD4 du sang. Il s’agit de créer un pool de CD4 résistants au VIH.
Mode opératoire ? Prélever les CD4 de la personne par aphérèse (prélèvement de certains composants sanguins par circulation du sang en dehors du corps, séparation par centrifugation et extraction, les autres étant réinjectés dans l’organisme). Ces CD4 sont ensuite placés en présence des ciseaux moléculaires. Avec une seule séance, on peut traiter 10 à 30 milliards de cellules CD4, dont 25 % modifiés par les doigts de zinc et ne présentant plus de CCR5. L’idée est que le VIH détruira les autres cellules mais pas celles-là, ce qui permettra leur sélection et leur prolifération Selon les résultats présentés à la CROI 2012, neuf personnes ont reçu 10, 20, ou 30 milliards de cellules modifiées. Lesquelles se sont multipliées et ont persisté pendant six mois environ, pour un gain d’un peu plus de 150 CD4/mm3 en moyenne. 28 jours après l’injection, le taux de cellules modifiées montait jusqu’à 3 % dans le sang, et 6 % dans la muqueuse de l’intestin. Cinq fois plus que ce que les chercheurs espéraient ! Chez six autres personnes, un arrêt des antirétroviraux pendant 12 semaines était programmé après une injection de 10 milliards de CD4 modifiés. C’est très peu, mais chez des personnes dont les CD4 ne remontaient pas,
l’injection a permis une remontée, et chez eux, une diminution d’en moyenne 0,8 log de la charge virale. C’est peu,mais c’est un premier essai, après une seule injection de CD4 modifiés. Mieux encore : chez une personne avec une simple mutation Delta 32, le virus est resté indétectable, au moins jusqu’à la CROI. Les chercheurs essaient maintenant d’améliorer la persistance des cellules modifiées. La technique sera évaluée chez des personnes en multiples échecs thérapeutiques (virus non contrôlé) ou souhaitant interrompre les antirétroviraux. Le coût est très important, de l’ordre de 15 000 dollars pour une injection (le prix moyen d’un an de trithérapie au Nord). Mais cette méthode,
si elle s’avérait permettre de se passer de médicaments anti-VIH donnés à vie, pourrait être rentable. Reste déjà à s’assurer de son innocuité.
Des défis nombreux !
Ces différentes pistes soulèvent de nombreux défis. De l’aveu même des chercheurs, les essais testant ces différentes stratégies sont potentiellement risqués sans apporter de bénéfice clinique assuré aux personnes qui y participeront. C’est pourquoi, on essaie d’administrer plutôt desmolécules déjà utilisées chez l’homme dans d’autres maladies. Les chercheurs se retrouvent devant un dilemme : soit tenter d’inclure des personnes en bonne santé (mais moins de motivation pour y participer), soit inclure des personnesmotivées parce que leur état de santé ne les satisfait pas (mais du même coup les plus fragiles). C’est pourquoi beaucoup de chercheurs mettent l’accent sur la nécessité de développer des modèles in vitro et sur les animaux plus pertinents, ou les différents marqueurs (biologiques) à utiliser pour vérifier l’efficacité des stratégies évaluées dans les essais cliniques. S’il n’est pas exclu de trouver "par hasard" un traitement efficace pour induire une éradication ou une rémission fonctionnelle, il faut continuer les recherches fondamentales pour mieux comprendre ’extrême complexité des mécanismes biologiques à l’oeuvre dans l’infection par le VIH. Le début d’un long chemin… qui devra inclure de nombreuses étapes, comme autant d’objectifs intermédiaires en liaison avec les questions éthiques et les droits et besoins des séropositifs défendus par les associations. Pour que la machine, processus de long terme, qui vient d’être lancée, puisse fonctionner.