Avec Frigide tous virent au fascisme blanc... On pouvait certes préférer une union civile ouverte à l’ensemble des personnes désireuses de vivre sous un régime de type familial (ou communautaire) légal au mariage pour tous. Lesbiennes et gays, du moins leurs minorités agissantes ou militantes, ainsi ces minorités que sont les élus et représentants formels des populations, ont préféré sauvegarder les diverses symbolisations du mariage et de la famille dite nucléaire. Une union civile de type n’était certes pas la revendication de la Manif pour tous, mais ce mouvement moribond a été éclipsé par de celui du Printemps français dont les visées outrepassent largement la revendication d’une union civile réservée aux seuls couples hétérosexuels. Avec l’attaque en règle contre les études de genre, il s’agit à présent de concourir à la fascisation des esprits. Aussi de propager le fantasme d’un fascisme arc-en-ciel.
Un suicidé vénéré tel un martyr, une divorcée, Béatrice Bourge, à la tête du Printemps français, le catholicisme romain a bon dos. Il n’est pas question ici de diaboliser Béatrice Bourge ou celles et ceux qui l’entourent en leur imputant de vouloir au plus vite instaurer un régime à la Mussolini, Franco, Salazar, Pinochet, ni même d’en rêver intérieurement. Mais, avec l’attaque en règle contre les études de genre, l’objectif est d’accoutumer les esprits à une vision fascisante de contrôle de la pensée et de l’évolution de la société civile.
En ce sens, il s’agit d’un autoritarisme qui ne vise pas à instaurer un parti unique autoritaire « nationaliste » (ou européen) ni ne se nourrit d’idéologie belliciste, même si certains de ses tenants laissent parfois fortement penser qu’ils souhaitent un pouvoir fort et la totale marginalisation d’une immigration extra-occidentale de nature halogène estimée inassimilable.
Les fondamentaux de ce mouvement sont le créationnisme, en tant que réalité ou mythe unificateur, et la famille traditionnelle, nucléaire, hétérosexuelle, en tant que socle idéalisé, modèle intangible, souffrant néanmoins d’accommodements pratiques.
On ne sait combien de militantes ou farouches partisans du Printemps français sont encore persuadés que l’univers tel qu’il fut conçu naguère (pas celui de la terre plate, mais d’un univers restreint à un seul système solaire, modèle que les plus récentes observations tendent à réexaminer) est encore « universel ». On ne sait pas non plus combien sont issus de familles recomposées, monoparentales, vivant ou non maritalement (sous le régime du mariage, du Pacs ou de l’union libre), mais ce n’est guère important : une ou un bâtard soutien du Printemps français scandera tout aussi haut qu’un ou une autre « un papa, une maman ».
Cela ressort d’une vision magique, soutenue par les religions du Livre, selon laquelle il n’y aurait eu qu’un Adam et qu’une Ève, dont il est ignoré s’ils avaient jugé bon de se marier, et non pas de multiples couples, des enfants de conquérants ou d’esclaves, &c. Ou d’enfants issus des redoutés mariages mixtes, entre plébéiennes et patriciens, que Tite-Live conspuait car ils allaient « vulgariser des sortes d’accouplements, comme chez les bêtes, entre nobles et plébéiens. De sorte que qui en naîtra ne saura plus à quel sang, à quel culte il appartient ; moitié noble, moitié plébéien, il ne sera pas même d’accord avec lui-même ».
Bref, il faut faire comme si l’évolution darwinienne n’avait aucun fondement, et à présent, faute de pouvoir défendre, tel le Tea Party américain, le créationnisme, ce qui s’est vérifié peu électoralement payant, s’en prendre aux études de genre émergeantes.
Fort peu s’y intéressent vraiment en fait… La plupart – comme dans le reste de la population – n’y voient qu’une expression figée. Encore moins nombreux sont celles et ceux tentant sereinement, armés de leur libre arbitre, de s’y confronter.
Dans Le Monde, Delphine Roucaute résume : « un pan des sciences humaines affirmant que l’identité sexuelle n’est pas déterminée uniquement par le sexe biologique ». Cela n’implique aucunement que le sexe biologique n’ait aucune influence, ni que laisser une certaine de liberté à l’enfant, à l’adolescente, au jeune adulte, pour se déterminer (temporairement, réversiblement, durablement), induise mécaniquement une répartition minoritaire, majoritaire, dominante, marginale, des choix.
Rien n’y fait : au mépris des évidences, il s’agit de faire perdurer l’idée que toute femme ressent un désir d’enfant, que tout homme veut assurer sa descendance. Il ne faut surtout pas tenter de constater qui, issu d’un père ou d’une mère homosexuel·le (s’affichant ou non ouvertement, vivant ou non en couple marié, non marié ou pacsé ou autrement), optera ou non pour une forme d’hétérosexualité, d’homosexualité, d’asexualité, de bisexualité, &c. « Cachez ce sein que je ne saurai voir », si ce n’est comprimez-le, procédez à son ablation.
Il est particulièrement stupide de présenter les études de genre tel un fruit défendu : à ce train, de plus en plus d’étudiantes et étudiants vont vouloir croquer dans la pomme. Pour s’apercevoir que les études de genre n’ont rien de diabolique, qu’il ne s’agit pas d’une théologie, que des opinions fort divergentes s’expriment certes, mais qu’il est toujours tenté de s’appuyer sur des faits, dont la perception peut être révisée, comme dans les sciences dures ou en médecine (qui n’ont évolué qu’en remettant en cause tant de présupposés voulus intangibles, car seuls autorisés).
Il est tenté de faire des chercheuses et chercheurs en ce domaine (et disciplines diverses selon ces secteurs étudiés) des adeptes de La Terre plate (contestée sans doute dès avant Aristote et Thales, mais « réalité » plaisante à soutenir avec un potache aplomb) ou de la religion du Jedi (surtout folklorique, festive, en Grande-Bretagne), mais animés de visées pernicieuses.
Soit, comme le dénonçait Tite-Live, de « bouleverser les lois divines et humaines ». Voilà que, pour le Printemps français, « le vrai but du mariage homosexuel est d’imposer la théorie du genre ». Or le genre n’est nullement un postulat unisexe ou tout autre, mais une approche des relations entre les individus, un objet d’investigation, un outil, qui ne sert pas uniquement à s’interroger sur la construction de leur(s) identité(s). C’est aussi une approche des « rôles gendrés » (parfois interchangeables, évolutifs).
Pour les adversaires de cette approche, les rôles sont prédéterminés, immuables, en dépit des évidences biologiques. Comme si la biologie humaine n’évoluait pas, en était restée à celle d’avant nos ancêtres, qu’ils soient néandertaliens, sapiens, erectus ou antérieurs.
Bien sûr, ces études s’intéressent aussi à des cas particuliers, comme par exemple ceux de personnes de sexe masculin ou féminin qui, après un changement, non de sexe mais d’apparence sexuelle, peuvent choisir de vivre en couple avec des personnes du même ou de l’autre sexe que celui de leur naissance. J’en connais au moins un, celui d’une adolescente devenue jeune homme et vivant maritalement par la suite avec un homme l’étant resté, « mâle » n’y voyant pas de mal.
En ayant recours à une intense propagande affirmant que la recherche, aux mains de militantes et militants en développant une aussi intense, voire effrénée (ah bon ? vous aviez si fréquemment entendu évoquer de tels cas ? l’Eurovision, les séries de télé-réalité de l’an prochain ne serait déjà plus réservées qu’aux seul·e·s transexuel·le·s s’il fallait en croire ce que les forums proche du Printemps français propagent), ces groupes fanatiquement opposés à tout ce qui n’est pas mariage hétérosexuel (sauf le célibat du clergé et des nonnes) veulent effaroucher la population.
Il était commode et non trop outrancier d’évoquer un fascisme rouge (dont la Corée du Nord offre encore un exemple), il serait abusif de qualifier de fascisme brun ou noir le Printemps français, dont acte. Blanc peut-être –puisqu’il ne s’agirait pas d’une couleur – car il entretient le fantasme d’un fascisme arc-en-ciel.
Qui connait un peu des familles dont les adultes et parents sont soit de sexes et genres différents ou identiques, mais comportant une ou un bi, ou homo, ne constatent généralement pas qu’ils influents sur la détermination gendrée de leur propre progéniture ou des enfants de leur(s) partenaire(s), belles-familles, relations amicales. Qu’il puisse exister des exceptions ne confirmant aucunement cette « règle » ne peut certainement pas être a priori exclu. Pour le Printemps français, ce sera automatique : les lesbiennes (pro)créeront des lesbiennes, les gays, des gays, les bi, des bi. Dans ce cas, toutes les fratries seraient éternellement royalistes, d’ascendants en descendants (en oubliant que la royauté est une création somme toute récente en Europe de civilisation gréco-romaine ou « barbare »).
S’agirait-il d’un complot du silence ourdi par les services de protection de l’enfance, par les médias, et les sociologues des études de genre, qui éclatera de manière encore plus retentissante que celui de l’homosexualité et de la pédophilie dans les rangs des clergés, pour masquer que c’est ce qui se constaterait déjà ? La population cléricale formerait d’ailleurs un fort bon terrain d’investigation pour ces sociologues, mais conférences des évêques et consistoires ne semblent guère enclins à le favoriser.
Le genre n’est pas un outil contingenté aux études dites féministes, mais à disposition tant des sociologues, des psychologues, du travail, de la consommation, de maints autres domaines, que des anthropologues. Il est des catholiques, protestants, israélites, musulmans, autres, qui le prennent en compte sans pour autant être partisans du mariage, de l’union libre, d’un contrat civique marital, car ce n’est d’ailleurs nullement leur préoccupation primordiale (en tout pas compulsionnelle, taraudante, fort loin de là).
En fait, ce qui est vraiment en jeu, pour les thuriféraires du Printemps français, c’est le patriarcat et l’éducation gendrée des enfants : leur grande crainte, leur repoussoir, c’est – pour caricaturer – qu’il soit enseigné la couture aux garçons et la mécanique aux filles.
Ma mère m’avait appris à coudre, j’ai oublié, mais à l’âge où un prospecteur minier totalement isolé en Amazonie s’était recousu lui-même une large plaie, à voir sa cicatrice, j’estime que j’aurais mieux fait.
Très récemment, un cardinal allemand a préconisé que les Allemandes restent au foyer et élèvent de trois à quatre enfants ou davantage. Il n’a pas énoncé qu’elles soient préparées à ce type de tâche dès le plus jeune âge, mais c’était implicite. C’était aussi initialement la doctrine nazie nataliste qui ne différait de celle des églises que sur la reconnaissance des bâtard·e·s et le fait qu’il fallait encourager les futurs pères à épouser des filles-mères. Les études de genre rendent aussi compte de ce type de conception de l’organisation sociale.
Aveuglément, en focalisant sur les études de genre, les tenants du Printemps français et affiliés concourent à ce que leur idéologie sous-jacente soit examinée, exposée, traduite un peu trop vite par une majorité de l’opinion en une sorte de « fascisme blanc ». Ils confortent aussi une conception de l’islam se voulant aussi immuable et intemporelle que celle qu’ils défendent.
Tout comme une universitaire telle Anne Larue pointe que Beauvoir s’est souvent mis le doigt sur l’œil, voire carrément dedans, il est fort possible que Christine Delpy se goure. Delpy lie construction sociale de la « race » à celle du sexe et considère que le concept opératoire de « castes raciales » est à l’œuvre dans la société française. Le Printemps français risque de la conforter.
Sur les pages du Comité Valmy, un Marc Gébelin qui se dit (proclame ? j’ai cherché, sans trouver de références universitaires) anthropologue, plaide pour que la femme soit « formatée par l’éducation » et projette sur les études de genre l’objectif de créer « un monde exclusivement masculin » favorisé par « l’abolition des sexes ». D’autres soutiennent exactement l’inverse, au gré de leurs élucubrations. De manière triviale, voire grivoise, édulcorée ou empruntant au jargon universitaire la formulation des argumentations, cela revient à peu près à cela : indifférenciation pernicieuse, inversion des rôles. Pour quel échantillon, quelles tranches de population ? Ah, on ne verra pas… on présume, suppute, et il n’est pas bien sûr question d’expérimenter pour valider des hypothèses : le chambard sera total, indubitablement « civilisationnel ».
Notez qu’un agrégé d’histoire religieuse, Anthony Favier, qui a droit aux pages de Témoignage chrétien, réfute totalement l’idée d’un « protocole des sages du genre ». Très congru des thèses sur le genre et de leur refutatio (notamment catholiques et « savantes »), relevant que célibat et chasteté n’ont rien de « naturel » statistiquement, Anthony Favier s’interroge sur la conception catholique de la sexualité et constate que « nombreux sont les fidèles à suivre des mots d’ordre sans rien connaître des études de genre. ».
Il rend compte des interrogations et cheminements des chrétiens sur le sujet, qui ne partagent pas toutes et tous la vulgate vaticane de l’éthique chrétienne du sexe. Il trouve affligeante l’obstination à travestir la réflexion initiée par les études de genre : « elle reflète cruellement le refus de toute approche des sciences sociales par les autorités romaines (…) et un repli dramatique de leur vision du monde. ».
Nombre d’entre qui participera à la manifestation dominicale du Printemps français n’analysent pas ce qui sous-tend l’idéologie de ses organisatrices et participants en vue, ou s’en moque, voire tolère, tout au plaisir de « faire nombre ». Ce genre de défilé présente un côté festif, et on peut comprendre que lorsqu’on n’est pas proche de syndicalistes ou de supporteurs d’un club sportif, les occasions sont rares de s’y adonner. Les mêmes ressentiraient sans doute comme un malaise si un barbu en djellabah et kufi blancs de prière leur lançait : « nous partageons totalement vos vues sur le mariage homosexuel et l’éducation des femmes ».
La polygamie n’est certes pas de l’épaisseur d’une chape de cigare, leurs éventuels amants ou maîtresses les poussent sans doute davantage à rompre pour de nouveau convoler qu’à s’engager dans une communauté à trois ou quatre, mais c’est bien la seule pierre d’achoppement distinguant l’islamisme de ce christiano-fondamentalisme belliqueux.
Chrétiennes et chrétiens abusés gagneraient sans doute à se déciller et chasser ces marchands du temple.
Michèle (en religion, il s’agit d’une moniale) répercute sur blogue, Au Bonheur de Dieu, l’approche théologique d’un Christian Duquoc (auteur de la très chrétienne maison d’édition Le Cerf) selon laquelle la distinction masculin-féminin n’est pas plus définissable que le dieu des divers « livres » est représentable. « Mâle et femelle, Il les créa » (Gn 1.27). On cherchera d’ailleurs en vain dans ce qui est supposé être la parole christique (toujours apocryphe) de quoi condamner la sociologie du genre. Il n’est nulle part écrit « femme au berceau et fourneau, homme au boulot » et le fils (civil, au moins) de Joseph ne s’attarde pas à dire si son père torchait les gosses quand sa mère se penchait sur la comptabilité de son artisan d’époux. Qui sait si elle ne portait pas « la culotte », comme on dit…
La similarité entre le « fascisme sable » de l’islamisme pacifique et le blanc est quasi-totale, le distinguo ténu, dans la mesure où une même vision statique de la société est largement partagée.
Il ne s’agit pas ici, ce n’est ni mon orientation ni celle de Sidaventure, d’appeler à l’interdiction du Printemps français au risque d’accréditer qu’une « police de la pensée » serait à l’œuvre. Les islamistes djihadistes font aussi état d’une « police de la pensée » mais proclament aussi une volonté hégémonique, appellent au meurtre, ce que seuls les plus exaltés des « printaniers » font (le rétablissement de la peine de mort, dispensée institutionnellement ou à la sauvage, contre les avorteuses et avorteuses, ne les ferait guère frémir).
Mais il faut nommer ce qui est factieux et fasciste. Mettre aussi en garde, civiquement, celles et ceux qui défileront demain : ne pactisez pas avec les liberticides qui visent à vous dicter votre conduite, à vous faire déterminer les aspirations et comportements de vos enfants. Pour la plupart, vous ne toléreriez pas à présent leur inquisition, leur diktat, leur immixtion dans vos choix. Tels des islamistes radicaux, c’est là leur dessein. Pour le moment, il ne s’agit que d’une atteinte à l’intégrité de votre libre arbitre. Demain, à vos enfants en chemises blanches, pantalon ou jupe de cuir, bottes ferrées, que pourrez-vous rétorquer ?
Que Marine Le Pen réfléchisse à une « amélioration du Pacs, notamment sur le plan de la transmission patrimoniale » (il serait aussi bon de penser aux pensions de réversion), et veuille ne pas s’aliéner partie de son électorat, est parfaitement recevable. Qu’elle redoute la concurrence électorale d’une Frigide Barjot est « naturel ». Cette dernière renvoie dos à dos le gouvernement et le Printemps français. C’est habile. Elle n’en appelle pas moins à défiler «en masse ». Pourquoi pas ?
Mais si retentissent les « allah-ou-akbar » du Printemps français, sauce fascisme blanc, n’hésitez pas, désertez le cortège, en masse. Vous vous le devez, ainsi qu’à vos concitoyennes et concitoyens qui, favorables au (ou simplement tolérants du…) mariage pour tous, ne font pas rimer facho avec catho (quoique… parfois…), et respectent votre sentiment ou vos convictions démocratiques et républicaines, votre sincérité, tant bien même les estimerait-on insuffisamment éclairées (par les études de genre, en particulier).