Dépistage de l'hépatite virale C : systématique ou ciblé ?
Aux USA, la prévalence de la présence d’anticorps dirigés contre le virus de l'hépatite C (HCV) avoisine les 1,6 % de la population mais est plus élevée chez les sujets nés entre 1945 et 1964. Par ailleurs, 74 % des porteurs d’anticorps ont une virémie, traduisant une infection clinique. En 2009, on a compté près de 16 000 nouveaux cas d' HCV. Le mode de contamination était une exposition per cutanée à du sang contaminé, plus accessoirement des transfusions sanguines effectuées avant 1962 et des comportements sexuels à risque. Dans une étude communautaire, le pourcentage d'évolution vers la cirrhose a été estimé à 7 % après 20 ans d'infection.
Un tiers à un quart des personnes infectées par le virus C ignorent leur statut viral. Un dépistage précoce pourrait, en théorie, permettre la mise en route d'un traitement visant à prévenir l'atteinte hépatique irréversible et à diminuer le risque de transmission. En 2004, l'US Preventive Services Task Force (USPSTF) s'était toutefois prononcée contre le dépistage des adultes sans facteurs de risque (recommandation de niveau D). Cette décision reposait sur la faible prévalence de l' HCV dans la population générale, sur l'évolutivité relativement lente de l'hépatite et sur l'absence d'arguments probants démontrant que le dépistage améliorait l'évolution clinique et réduisait le risque de transmission. Plus récemment, les Centers for Diseases Control and Prevention (CDC) se sont déclarés favorables à un dépistage ciblé, visant les sujets nés entre 1945 et 1965.
Quatre questions poséesR Chou et collaborateurs ont effectué une revue systématique afin de répondre aux questions clé suivantes:
- le dépistage chez l'adulte sans anomalies des enzymes hépatiques (femmes enceintes exclues) réduit-il la morbimortalité de l' HCV, affecte-t- il la qualité de vie des sujets dépistés et est-il à même de diminuer l'incidence de nouveaux cas ?
- quelle est l'efficacité relative des différentes stratégies de dépistage, basées sur la prise en compte de facteurs de risque plus ou moins nombreux ou sur la prévalence de l'HCV dans une population donnée ?
- quelle est la sensibilité de la méthode de dépistage et combien de tests sont nécessaires pour identifier un cas positif ?
- enfin, quels sont les dangers du dépistage, y compris ceux de la biopsie hépatique ?
Une large étude bibliographique a été conduite, à partir d’Ovid MEDLINE pour la période 1947 à mai 2012, Embase, Cochrane Library Database Scopus et PsycINFO, des registres d'essais cliniques et des bases de données. Deux lecteurs indépendants ont évalué la qualité de chaque publication selon des critères très stricts. Il s'agissait d'essais contrôlés, d'études de cohorte, d'études cas-contrôle ou transversales, visant à apprécier le bénéfice des stratégies de dépistage utilisées, notamment en calculant la sensibilité et le nombre de tests nécessaire dans une population ciblée pour identifier un cas d'infection à virus C. Les publications rapportant les dangers potentiels du dépistage et de la biopsie hépatique ont été incluses dans l'analyse. Seuls les articles de langue anglaise étaient retenus. Ont été exclues les études portant sur des patients transplantés, ceux avec une co infection VIH, ceux en hémodialyse chronique, enfin ceux exposés professionnellement.
Et quelques réponses indirectesAu terme de leur recherche bibliographique, les auteurs n’avaient retrouvé aucun travail comparant le devenir clinique des sujets dépistés vs non dépistés, ni d'études comparatives des différentes stratégies de dépistage de l'HCV, basées sur l'analyse des facteurs de risque ou sur la prévalence.
Quatre études transversales, concernant 985 à 3 307 sujets, ont fourni des éléments sur la précision et le bénéfice de chaque méthode. Trois d'entre elles concernaient des populations à haute prévalence de l'HCV, entre 4,6 et 8,3 %. Les principaux facteurs de risque retenus étaient l'utilisation de drogues IV, des rapports sexuels avec des toxicomanes, une ou des transfusions sanguines avant 1992, des antécédents de maladies sexuellement transmissibles, un âge supérieur à 30 ans, etc. Leur sensibilité dépassait les 90 % et le nombre de tests nécessaires pour identifier un cas positif était compris entre 9,3 et 18. La 4e étude transversale a été, quant à elle, menée dans une population à prévalence faible, d'environ 1 %, à partir d'un questionnaire comportant 20 items. La sensibilité était aussi très forte et le nombre de sujets nécessaires pour dépister une HVC était abaissé à 2,4. L'intérêt de toutes ces publications était limité par leur caractère rétrospectif et par le fait qu'un nombre considérable de patients potentiellement éligibles n'avaient pas été inclus dans l'analyse de par un statut HCV inconnu ou non rapporté.
Peu de données ont été recueillies, lors de cette revue systématique, sur les dangers potentiels du dépistage. Seules 3 études, de faible envergure et sans groupe contrôle, mettaient l'accent sur une dégradation possible de l'état psychologique des sujets dépistés, sur une modification des relations avec le conjoint et sur une éventuelle intempérance éthylique. Un seul travail a étudié les dangers potentiels de la biopsie hépatique per cutanée auprès de 2 740 malades, au stade de cirrhose post hépatitique compensée et de fibrose modérée ou forte. Elle a rapporté 1,1 % d'effets secondaires notables (saignements et douleurs) mais pas de décès.
Au total, comme la précédente analyse de 2004, cette revue n'apporte guère de précisions complémentaires sur le devenir respectif des sujets dépistés vs non dépistés, non plus que sur la valeur relative des différentes stratégies de dépistage. A partir d'études toutes rétrospectives, il apparait que celles incluant la prise en compte de plusieurs facteurs de risque ont une sensibilité qui dépasse 90 % et nécessitent moins de 20 tests pour dépister un cas. Des stratégies plus ciblées, telles celle concernant des toxicomanes IV ont un rendement plus élevé, de l' ordre d' un test positif sur deux mais peuvent omettre plus de 2/3 des patients infectés.
Récemment, les CDC ont préconisé le dépistage systématique de toutes les personnes nées entre 1945 et 1965. Cette recommandation est fondée sur la forte prévalence de sujets infectés dans cette tranche d'âge, sur le fait que nombre de sujets ignorent leur statut viral, que la maladie peut s'aggraver après des décennies d'évolution silencieuse et enfin sur l'efficacité thérapeutique des nouveaux anti viraux. Toutefois, à ce jour, aucun élément clinique n'est venu conforter cette approche ciblée par tranche d'âge. Des études complémentaires, qui viendront préciser l'efficacité et le bénéfice des différentes stratégies de dépistage de l' HCV, dont celle préconisée par le CDC, restent donc nécessaires.