Police, justice, ripoux partout ?
Bizarre, bizarre, on n’a pas entendu le moindre ministre, ni bien sûr Nicolas Sarkozy, hurler au laxisme de la magistrature après la peine infligée à deux policiers toulousains qui rackettaient en douce les gardés à vue. La Sarkozye répugnerait-elle au populisme judiciaire et policier ? Ce serait vraiment nouveau… Avertie du fait que deux policiers toulousains volaient les données des cartes de crédit des gardés à vue pour faire des emplettes, Michelle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, avait prétendu être « extrêmement stricte sur les questions de déontologie. Ceux qui commettent des fautes doivent être sanctionnés de manière très forte ».
La justice, bien plus d’un an après l’arrestation des deux policiers du commissariat Nord de Toulouse, écroués fin mars 2009, a été implacable : 14 mois de simple emprisonnement, dont deux de sursis, histoire de couvrir la durée de la détention. Ce pour une qualification « d’escroquerie aggravée » en fait particulièrement allégée. Pour des faits semblables, on peut être condamné à 4 ans, et généralement, la presse locale s’empresse de publier les patronymes des prévenus (sans même attendre qu’ils soient jugés), voire d’indiquer leurs quartiers de résidence, et de donner divers détails.
Enfin, surtout si, par exemple, on se nomme Qualid Afriad, 27 ans, brancardier dans une clinique de la banlieue parisienne, et condamné en juillet dernier à un an d’emprisonnement par le TGI de Béthune, pour un vol (à l’arraché) de carte bancaire commis à Sallaumines.
La Voix du Nord ne s’était pas privée de donner la parole au procureur Partouche qui considérait l’individu « excessivement dangereux » et insistait que ce genre de vol est « l’agression que tout le monde redoute, même si je ne vais pas faire du populisme judiciaire. »
On peut penser que les magistrats toulousains ont fait, eux, du « populisme policier », si l’on considère la jurisprudence, et la fonction des auteurs qui agissaient en groupe (de deux, mais cela suffit, pour un cambriolage nocturne, par escalade, pour vous valoir les Assises), tout autant que l’antériorité et la continuité des faits, soit 3 ans de méfaits ayant rapporté environ 35 000 euros.
Quand on se retrouve en garde à vue, on peut tout craindre. Selon votre bobine, si par exemple vous vous recommandez d’un ancien ministre de l’Intérieur ou d’un élu local ou national, soit on prendra le temps de vérifier, soit on qualifiera votre attitude « d’arrogante ». L’outrage n’est pas loin. En fait, on vous pousse gentiment, en se montrant narquois, méprisant, &c., à cet outrage qui vaudra qualification (faute d’en avoir d’autre à reprocher au gardé à vue qui peut fort bien être la victime d’une agression ; il suffit qu’elle ou il ait tenté de se défendre pour se retrouver lui aussi en garde à vue). En revanche, si vous êtes le fils d’un grand flic, vous pouvez impunément insulter le petit personnel, et repartir sans laisser la moindre trace, même en cas d’infraction dûment constatée et même reconnue par l’intéressé.
Là, ces deux fonctionnaires, un homme et une femme, avaient commencé par se déclarer respectivement et réciproquement les vols de leurs propres cartes bancaires pour faire des achats en ligne. Puis ils avaient utilisé les cartes de crédit des gardé-e-s à vue. On ne saura pas si, pour obtenir les noms et dates de naissance et autres détails identitaires en sus de subtiliser les cartes bancaires, ces policiers n’ont pas usé de leur autorité pour provoquer des gardes à vue de circonstance.
Tout autre histoire. Voici, pour une fois à l’identique et simplement « pompé » aux fins de démonstration, le début d’une dépêche de l’AFP.
« Une policière bordelaise a porté plainte pour diffamation publique à l'encontre d'une enseignante qui l'avait accusée de violences et viol lors d'une fouille au corps en garde à vue au mois de mai, a-t-on appris lundi auprès de la police. "Elle a déposé plainte pour diffamation publique à l'encontre de Céline Millet vendredi à l'hôtel de police de Bordeaux et ce dernier va la transmettre au procureur de la République de Bordeaux", a indiqué à l'AFP, Pascal Pallas, officier de communication de la police bordelaise. » Factuel, n’est-il pas ? Oui, mais le seul policier cité nominativement n’est pas la policière impliquée. En revanche, on apprend le nom de l’enseignante, qu’elle aurait pu avoir bu un verre de trop (« deux bières et un petit verre de vin blanc », rapporte l’AFP) lorsqu’elle fut interpellée au guidon de sa bicyclette (j’adore cette expression, maintes fois employée en tant que fait-diversier de petite locale). On saura tout ou presque de l’enseignante, des disciplines qu’elle enseigne, mais rien, bien sûr, des policiers qui l’ont sans doute poussée à se débattre au cours d’une garde à vue qu’ils ne doivent pas trop peiner à justifier (au besoin, on invente, ou comme dans le cas d’une course poursuite qui s’était mal terminée, on dénonce abusivement, et le tribunal se montre très indulgent).
Le populisme, qui le crée ? Hortefeux, par exemple, en ne commentant pas cette décision du tribunal pour déplorer le laxisme des magistrats. Le même ne se prive pourtant guère en d’autres cas de faire chorus avec les syndicats de policiers pour mettre en cause la magistrature. Là, rien. Au moins, dans le cas des policiers toulousains, on n’a pas vu d’autres policiers manifester bruyamment en uniforme et applaudir leurs collègues qui sont sortis libres de l’audience.
Il n’y a pas, dans la police nationale, et même dans les CRS, que des sbires du « VRP cocaïné » (Nicolas Sarkozy, selon Nicolas Bedos, dont les commentaires sur sa garde à vue ont été suivis de témoignages concordants sur divers sites, du genre « sous un prétexte fallacieux, j’ai aussi été placé en garde à vue et je partage l’opinion de Nicolas Bedos ».). Je m’honore d’avoir eu des copains et même un ami (il a obtenu de ne pas démissionner pour surmenage et dépression provoquée par ses collègues et supérieurs et de bénéficier d’un arrangement) dans la police. J’ai encore récemment reçu le meilleur accueil aux abords d’un commissariat parisien de la part d’une policière fort courtoise. Je peux fort bien comprendre que la même, éventuellement, si elle se fait insulter par un Nicolas Bedos dédaigneux, l’embarque en garde à vue. Il y a, parmi les journalistes, détenteurs d’une carte de presse ou non, de fieffés escrocs intellectuels (voire des escrocs qui ne risquent rien puisque les faits pouvant leur être reprochés ne peuvent être judiciairement qualifiés pour tels). On n’a pas recherché les articles de la presse médicale vantant l’efficacité du Mediator, et je ne sais même pas s’il en existe, mais on se souvient de la réception, dans certaines rédactions, du livre dénonçant la dangerosité du Mediator. Hormis Pratiques et Prescrire, la presse médicale ne s’est pas trop distinguée par son soutien à l’auteure, Irène Frachon. De même, alors que le Crédit mutuel truste la presse régionale, ce n’est pas dans cette même presse que les abus des banques seront dénoncés (c’était déjà le cas, pour le quotidien L’Alsace, lorsqu’il était le seul à être détenu par le Crédit mutuel alsacien).
Mais il faut quand même savoir que la presse est particulièrement complaisante avec une police qui est aussi son informatrice. Il faut vraiment que les faits soient établis, patents, pour que la presse se risque à critiquer la police. Et encore, on laisse souvent ceux du service d’à côté, celui qui a le moins de rapport avec les policiers, se charger des articles peu favorables ou à leur encontre.
Quand des ripoux commettent un cambriolage, c’est d’abord la victime qui est placée en garde à vue, et l’affaire ne s’évente que par mégarde. Quand deux autres pillent une boutique de téléphonie, la source est judiciaire, et non policière. Et bien sûr, là, on ne donne jamais de noms, sauf, parfois, dans la presse mal pensante. Quand des policiers d’Orléans refourguent les saisies de drogues (plus d’un quintal de cannabis, plus de 40 kilos de blanches diverses), non seulement on ne donne pas de noms, mais on se garde bien de signaler tous les cas similaires (quand il y a des accidents sur des passages à niveau, là, oui, on sort des statistiques, des recensions, des récapitulatifs à l’envi).
Bon, parfois, on lâche un nom, comme celui du commissaire Alain Depousier, du commissariat parisien de la Chaussée d’Antin, condamné à un an avec sursis et 20 000 francs d’amende en décembre 1998. Dans ce commissariat, proche des grands magasins, es fouilles des femmes kleptomanes étaient assurés par la maîtresse de l’inspecteur principal Georges Cosimi, sans doute révoqué parce qu’il était très proche de la retraite. La dite maîtresse était rémunérée en produits divers. Les autres policiers participants aux aubaines ont, pour la plupart, bénéficié de promotions. Alain Depousier a été admis à la retraite, en 2003, avec le grade et les émoluments de commissaire principal. La seule expression « policiers ripoux » (d’autres graphies, le singulier, sont possibles) fait remonter plus de 15 300 résultats sur Google (certains n’ont rien à voir avec des faits réels, il s’agit de fictions, de films, nombre d’entre eux sont redondants, &c., mais il reste vraiment de quoi se faire une idée de l’étendu du phénomène… et la gendarmerie, plus épargnée, ne manque pas à l’appel).
En revanche, les policiers et gendarmes dénonçant des collègues sont mal vus, sont mutés, voire sanctionnés. Et il faut vraiment avoir l’obstination d’une Nicole Colas Bourbon, de Boulogne-Billancourt, pour faire remonter des faits devant un tribunal administratif et la commission de déontologie : venue porter plainte, elle s’était retrouvée en garde à vue. La plainte portait sur une escroquerie à la carte de crédit, le genre de plainte qui génère des affaires non élucidées, et qu’il convient donc de minorer, voire d’oublier, d’enfouir.
Toutes les illégalités policières ne sont pas criminelles : la revente de fichiers à des organismes privés (pourquoi pas à des malfaiteurs, aussi ?) est certes illégale, mais peu sanctionnée. C’est certes moins grave que la revente, par des CRS et des gendarmes, d’armes de guerre (dans les Bouches-du-Rhône, en 1990). Et puis, on l’accorde bien volontiers, tout comme tous les prêtres et pasteurs ne sont pas pédophiles, tous les policiers ne sont pas des escrocs, des voleurs, des menteurs, des violeurs (pas que de prostituées), des criminels, &c.,&c. Ce sont même souvent des voisins souvent plus délicats et serviables que d’autres.
Le plus grave, ce ne sont pas ces ripoux lyonnais qui, en 1989, masqués et armés, ont braqué un PMU. Ce qui est particulièrement choquant, c’est l’emploi habituel de la police à des tâches qui n’ont rien à voir avec la sécurité ou la défense des citoyennes et citoyens, avec parfois la complicité des syndicats, et bien sûr l’assentiment de la haute hiérarchie. Ce qui est plus grave, c’est que la complaisance de certains magistrats envers la police n’est pas toujours contrainte et forcée. Ce qui est gravissime, c’est l’opacité (si ce ne sont les trucages) de Nicolas Sarkozy sur sa politique en matière de police, de gendarmerie, de sécurité, depuis son accession au ministère de l’Intérieur.
Quant à Michelle Alliot-Marie, ses déclarations la suivent… Déjà présente aux Guignols de l’Info, elle mériterait d’être surnommée Charlotte (pas comme Corday, comme les Charlots). Elle n’a rien fait de très remarquable à l’Intérieur, s’est gardée de toute initiative personnelle majeure à la Justice, et a déjà gaffé aux Affaires étrangères. On lui pardonnera bien volontiers de ne pas moufter après le cinglant camouflet que vient de lui infliger le TGI de Toulouse : ne tirons pas sur une ambulance.
En tout cas, en cas de garde à vue, ce n’est plus simplement la présence d’un avocat qui devrait être requise, mais aussi de gardes du corps ; que l’on épargne cela aux Françaises et Français les plus pauvres, et que le budget de l’État n’aille pas financer des officines chargées de protéger les justiciables des policiers…
Post-scriptum – je m’apprête à chroniquer Selon que vous serez puissant ou misérable, de Charles Duchêne, aux éditions BTF Concept. C’est la suite de Pas vu, pas pris et d’autres chroniques du Sarkoland. L’intérêt de ces ouvrages, c’est le récapitulatif de faits qu’on a oublié, et le bilan n’en apparaît que plus lourd et affligeant. Pour les bavures policières et les ripoux, on attend toujours le récapitulatif… et pour cause ? Petit aparté pour Charly : oui, mon unité centrale est réparée, et ce n’est surtout pas grâce aux pignoufs de Surcouf, bien au contraire… Comprendra qui pourra…