Stigmatisation et discrimination : Des séropositifs racontent leur quotidien Il est rare de voir un Sénégalais vivant avec le Vih parler à visage découvert. Les personnes porteuses de cette maladie ont bien raison, parce qu’elles peuvent souffrir de toute sorte d’humiliation, fruit de la stigmatisation et de la discrimination, aussi bien dans l’espace familial que dans les structures de santé. Leur insertion socioprofessionnelle est, jusqu’ici, une équation sans solution. Quelques victimes de l’ostracisme livrent des confessions pathétiques.
La caméra tourne. Mais Nogaye (nom d’emprunt) veille à ne pas être filmée. Active dans les associations de Personnes vivant avec le Vih (PvVih) depuis plusieurs années, elle ne souhaite pas, pour autant, que son statut sérologique soit connu du grand public. Elle demande ainsi au caméraman de ne pas la prendre en compte dans sa prise de vue. D’ailleurs, pour en être certaine et éviter toute éventuelle erreur de tournage, elle tourne complètement le dos à la caméra. «C’est mieux ainsi, car je ne suis pas prête à affronter cette épreuve consistant à lever la confidentialité sur mon statut sérologique», lance-t-elle. Oui ! Il s’agit bien d’épreuves, si l’on se fie aux confidences de Personnes vivant avec le Vih (PvVih). Ces dernières ont bien voulu partager certaines expériences de stigmatisation et de discrimination liées au Vih/Sida.
Ibahima Goudiaby, en bon pionnier des rares séropositifs qui ont fait le saut de passer de l’anonymat à la visibilité, est le premier à se lancer. Il se souvient, dans les détails, des moments qui ont suivi la levée du secret sur son statut sérologique. «Le voilà ! Le voilà !», s’exclamait-on dans les rues, au passage de ce séropositif qui a décidé de révéler aux Sénégalais qu’il vit avec le Vih. Nous sommes le 1er décembre 1999. Jour de célébration de la journée mondiale de lutte contre le Sida. M. Goudiaby choisit de dévoiler publiquement sa maladie. «Quand je suis apparu à la télévision, le lendemain, c’est comme si une haute personnalité comme le président Diouf passait», se souvient cette Personne vivant avec le Vih (PvVih) dont le calvaire a réellement commencé quand il a levé la confidentialité sur sa maladie.
Exclusion alimentaireQu’il s’agisse de sa famille, de son entourage, des structures sanitaires, que de couleuvres avalées avant d’en arriver, aujourd’hui, à arpenter les rues et ruelles, à prendre part aux plus importantes rencontres sur la riposte contre la pandémie du Sida, sans avoir peur d’être dévisagé, d’être foudroyé du regard. En effet, depuis ce fameux jour, sa vie a emprunté une trajectoire empreinte d’humiliation. «Ma sœur m’a dit que j’ai déshonoré la famille», confie-t-il. Ainsi, leurs relations ont-elles été rompues de 1999 à 2010. Pis, quand il est rentré chez lui le soir, son logeur lui a signifié de quitter sa maison. «Il m’a dit qu’il devait repeindre sa maison. Car, il pensait que j’allais contaminer toute sa famille», témoigne le président du Réseau national des associations de Personnes vivant avec le Vih (Rnp+) qui a aussitôt arrêté d’aller prier à la mosquée. «Quand les personnes ont su que j’étais infecté, personne ne voulait se mettre à côté de moi à la mosquée. Ils laissaient toujours un grand écart entre eux et moi. Finalement, je me suis dit que cela ne vaut plus la peine d’aller prier à la mosquée», se remémore avec amertume M. Goudiaby qui signale, au passage que, quand il a levé le voile sur son statut sérologique, ses enfants revenaient toujours de l’école en pleurs, parce qu’on leur disait que leur papa a le Sida.
Dans le même sillage, note A.M. Dia, «depuis que j’ai pris la responsabilité d’aller vers la visibilité pour montrer la réalité du Vih/Sida, je suis dans une situation difficile. Car, ceux qui ont besoin de moi ne viennent maintenant me rendre visite que la nuit». Selon une autre PvVih, la stigmatisation peut même émaner de leaders d’opinion comme les religieux.
«Une fois, on est allé rencontrer un imam pour le sensibiliser sur le Vih. Mais, il doutait même de notre séropositivité, parce qu’il croit que celui qui vit avec le Vih est malade, squelettique. Le Vih n’est pas le Sida», tranche notre interlocuteur, habitant la région de Kaolack. Un autre séropositif en provenance de Ziguinchor déplore que certains n’accordent pas de crédit à leur statut sérologie. Parce que dans l’entendement populaire, une PvVih est décharnée. De ce fait, plusieurs interlocuteurs voient dans leur plaidoyer des actions purement mercantiles. «C’est difficile, car le Sida est souvent assimilé à l’argent», regrette-t-il.
Pour Doudou (nom d’emprunt), si les séropositifs continuent à se cacher, c’est parce que le Vih/Sida n’est pas bien connu des populations.
Etayant son propos, il donne l’exemple d’une dame qui, en décidant de révéler son statut sérologique à sa maman, a été isolée dans sa propre famille. «Très mal à l’aise, elle a menacé de se suicider», témoigne notre interlocuteur qui est allé voir la mère de la fille pour lui avouer qu’il a aussi contracté le Vih. «Finalement, elle a reconnu qu’elle était dans l’ignorance et a aussitôt repris le contact avec sa fille», se réjouit Doudou.
Personnes non infectées d’abord, les séropositifs aprèsUne histoire à peu près similaire a été vécue par une autre dame séropositive qui, pour fuir la stigmatisation et l’exclusion alimentaire dont elle est l’objet dans sa famille, a voulu rester à l’hôpital. «Je crains de mourir de faim dans ma famille», a-t-elle confié au séropositif A. M. Dia rapportant ses propos.
Outre la stigmatisation, les PvVih sont souvent l’objet de discrimination, notamment en milieux hospitalier et professionnel. De l’avis d’Ismaïla Goudiaby, «dans les structures sanitaires, on soignait d’abord les personnes non infectées avant de s’occuper des séropositifs. Des fiches de différentes couleurs étaient distribuées pour identifier les séropositifs. Mais, nous avons lutté pour que cesse cette forme de discrimination». Aussi, M. Goudiaby rapporte-t-il le cas d’une PvVih accidentée et transférée dans un hôpital. «Quand cet individu a dit qu’il vit avec le Vih, le personnel médical a fui. J’ai dû appeler le ministre de la Santé de l’époque pour qu’on le prenne en charge», confie le président du Réseau national des associations de Personnes vivant avec le Vih.
Renvoi, exclusionNogaye, elle, aura toujours en mémoire son dernier accouchement en 2009. Son médecin traitant n’étant pas sur place, elle a valsé d’une structure sanitaire à une autre avant de mettre au monde son enfant. «Arrivée dans la structure de santé où j’étais suivie, la sage-femme de garde qui a consulté mon carnet de santé, m’a renvoyée. Elle m’a signifié que j’avais besoin d’un suivi particulier et que je ne pouvais pas accoucher là où elle officie. Pour mettre un terme à la discussion, elle a déclaré qu’il n y avait plus de place», soutient cette dame qui n’a dû son salut qu’à une de ses cousines très influente et s’activant dans les réseaux des droits humains. «Quand je l’ai appelée, elle a rappliqué aussitôt. Sur place, elle s’est disputée avec la sage-femme de garde qui a finalement accepté de me recevoir. Mais on ne m’a pas donné de lit. Dans la salle d’hospitalisation, j’étais couchée par terre», se souvient Nogaye. Et de révéler que le travail a été long avant la délivrance. C’est pourquoi, son bébé est né en absorbant une importante quantité de liquide amniotique. «Heureusement, mon enfant en est sorti indemne», se réjouit notre interlocutrice qui signale que beaucoup de femmes membres de son association sont confrontées à ces difficultés dans les structures sanitaires. «Même si elles viennent les premières, on les consulte en dernière position, parce qu’elles sont séropositives», regrette-t-elle.
La discrimination des PvVih a également pignon sur rue en milieu professionnel où, pour éviter l’humiliation, certains travailleurs séropositifs préfèrent simplement partir. Et s’ils choisissent de continuer à exercer leur métier, ils ne bénéficient ni d’avancement, ni de formation. C’est d’ailleurs le cas d’Ismaïla Goudiaby qui informe qu’il a été écarté des programmes de formation. «Cela décourage !», lance-t-il. Seulement, il se plaît à souligner les avancées notées, aujourd’hui, dans la lutte contre le Vih/Sida en milieu de travail. «Au niveau de beaucoup d’entreprises, il y a maintenant des cellules de lutte», indique M. Goudiaby.