TRANSPARENCE DES CONFLITS D’INTERETS EN SANTE :
- Communiqué de la Fondation Sciences Citoyennes -
La loi de réforme de la santé récemment promulguée par
Barack Obama inclut
une première mondiale en matière d’information sur les conflits d’intérêts des professionnels de santé. Ce volet de la loi n’a pas fait la une des media européens. Serait-ce par crainte que l’exemple américain inspire des législations semblables?
Déjà une réalité dans certains Etats américains, les Physician Payment Sunshine Provisions ,] auront désormais une dimension fédérale, ce qui facilitera le
combat contre les dérives du lobby pharmaceutique ainsi que l’adoption de politiques plus globales de restriction des conflits d’intérêts.
Le Sunshine Act est une réglementation de transparence sur les conflits d’intérêts qui
oblige les laboratoires pharmaceutiques à déclarer, à partir de 2013, sur un site web en libre accès, toute somme ou tout cadeau dépassant 10 dollars donnés à des médecins et à des institutions médicales (de formation et/ou de soins). L’obligation de déclaration concernera aussi d’autres formes de conflits d’intérêts intervenant dans la pratique des professionnels de santé et à plusieurs niveaux du circuit du médicament et des soins.Fidèle à son engagement dans la lutte contre les conflits d’intérêts, la Fondation Sciences Citoyennes rappelle quelques données pour faire comprendre l’urgence qu’il y a à suivre l’exemple des Etats-Unis. Les citoyens doivent comprendre que le droit à l’information – donc à une décision médicale en connaissance de cause - reste purement théorique en France et en Europe, où les firmes pharmaceutiques n’ont pratiquement aucune contrainte légale digne de ce nom : ni de transparence sur les liens d’intérêts avec les experts et les politiques, ni d’information complète sur leurs produits. Il n’existe aucun dispositif de vérification rigoureuse des données industrielles ; aucune obligation d’enregistrement les essais cliniques et de publication systématique de leurs résultats, même défavorables ; aucun encadrement rigoureux de la publicité plus ou moins directe et des autres techniques de marketing contribuant à médicaliser à outrance le quotidien, afin de maximiser les profits.
De plus, la France et l’Europe ne disposent à ce jour d’aucun qualificatif juridique permettant de qualifier puis de réprimer les dérapages des firmes, ni pour la désinformation sur des produits défectueux, ni même en cas de pression sur les experts et autres décideurs politico-sanitaires. Or pas de moyen de répression veut dire pas de moyen de dissuasion, et ce malgré l’histoire bien chargée de l’industrie pharmaceutique…
Les dépenses des pharmas pour influencer le Congrès et les agences publiques des Etats-Unis se sont élevées à 1,7 milliards de dollars entre 2006 et 2009 [3], par exemple. Leurs dépenses publicitaires en France s’élevaient à 2,8 milliards d’euros en 2004 - chiffres « largement sous-estimés », selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) [4]).Ainsi, en France, les laboratoires dépensent 25.000 euros par an et par médecin pour désinformer les praticiens (IGAS 2007 ; 98% de la formation médicale continue est financée par l’industrie (rapport Sénat 2005 [ ; 95% des médecins libéraux reçoivent toujours les visiteurs médicaux ; la presse médicale – l’empire de presse de Gérard Kouchner, par exemple - est entièrement financée par les pharmas Le frère de l’ancien ministre de la santé est le patron de la presse médicale…
En Europe, la tendance actuelle n’est ni à la transparence ni aux exigences croissantes vis-à-vis des pharmas, bien au contraire. L’agence européenne du médicament (EMA) fait preuve d’une opacité tenace et censure les informations réclamées par les professionnels (selon l’analyse de la revue Prescrire [8]). Sous l’influence du lobby pharmaceutique, la Commission européenne prépare depuis des années l’adoption d’un « paquet pharmaceutique » [9], dont les mesures abattront jusqu’aux faibles obstacles qui se dressent encore sur le chemin d’une industrie qui prétend s’autoréguler par des chartes déontologiques volontaires… Et des partenariats public-privé tels « Innovative Medicines Initiative » [10] soumettent la recherche publique aux impératifs de rentabilité immédiate des industriels.
Lors de la récente affaire de la grippe AH1N1, les citoyens ont eu un aperçu des conséquences de cette absence de contraintes en Europe, puisqu’ils ont été les cobayes de technologies vaccinales nouvelles, non autorisées aux Etats-Unis. C’est une question de principe : les décisions arbitraires, basées sur des avis d’experts (qui constituent le niveau le plus bas de preuve selon l’EBM : evidence-based medicine) non fondés sur des preuves méthodologiquement fiables, mais plutôt sur des opinions reflétant les intérêts des laboratoires qui paient - ce type de décisions opaques n’a pas sa place dans un système responsable de santé et de soins.
L’absence d’évaluation sérieuse (essais RCT, bénéfice – risque, études sur les population à risque, etc.) et de procédures rigoureuses d’AMM (autorisations de mise sur le marché) met en permanence en danger la santé des citoyens, de même que l’opacité sur les liens des experts avec les lobbies, et la désinformation sur l’impact et les conséquences réelles, au quotidien, du lobbying et des conflits d’intérêts sur notre santé à tous.
Il est inacceptable que les citoyens ne disposent que d’estimations, et non pas de chiffres définitifs - qui permettraient de comprendre la puissance du lobby pharmaceutique -, alors que c’est la collectivité qui paie le prix des dépenses de lobbying, à travers le prix des médicaments. Sans parler des conséquences financières et humaines des décisions de santé prises sur la base d‘expertises biaisées.
Le constat est accablant.
Une refonte radicale et globale du système de santé et de soins est indispensable,
Ce serait un premier pas. Car la Fondation Sciences Citoyennes rappelle que la transparence ne suffit pas et appelle les citoyens à exercer leurs droits de décision, à se mobiliser pour obtenir des lois qui visent l’élimination des conflits d’intérêts, au nom de la protection des usagers et du droit (bien compris) à la santé et à l’information. Et, en fin de compte, au nom d’une démocratie républicaine digne de ce nom, qui place l’intérêt général et le bien commun avant les profits et les jeux d’influence. Elena Pasca
http://sciencescitoyennes.org/