sida, sidaventure, vih, vhc, info sida, forum sida, information sida, prevention sida, forum vih, t'chat sida, tchat sida, femmes sidaCette interview a été originellement publiée dans le magazine Illico dans le cadre d’un dossier sur la pénalisation de la transmission du VIH [1].
« L’association Warning a particulièrement travaillé sur la question de la pénalisation de la transmission par voie sexuelle. Georges Sidéris, son porte parole, resitue les enjeux pour les gays. »Illico : Pour quelles raisons, selon vous, les gays ne sont quasiment pas concernés aujourd’hui par les plaintes visant à sanctionner la transmission du VIH ?
Il y a un élément culturel. La culture de prévention, héritée des années 80-90 fondée sur la notion de responsabilité partagée, fait que l’idée que l’on est individuellement responsable de sa situation et donc éventuellement de sa contamination demeure vivace chez les gays - même si cette idée est de plus en plus remise en question actuellement. De plus, il faudrait qu’il y ait possibilité par la partie plaignante de prouver un élément manifeste de tromperie pour qu’il y ait possibilité d’un procès. En outre, la situation de multipartenariat chez les gays rend l’accusation de contamination par une personne donnée plus difficile.
Est-ce que la question de la pénalisation de la transmission du VIH peut « prendre » chez les gays français ?
Oui et non. Non à cause de ce qui vient d’être dit. Oui parce que malheureusement dans le milieu du militantisme sida certaines attitudes l’encouragent. C’est la manière réductrice avec laquelle sont envisagées les relations sexuelles sans préservatif qui pose problème. Elle ne fait pas de distinction et assimile les gays à des irresponsables, voire des contaminateurs. Elle ne peut qu’encourager la pénalisation de la transmission du VIH.
Comment expliquez-vous que ce débat ait peu mobilisé les associations de lutte contre le sida ?
Le sujet est très difficile, complexe, soulève les passions, génère des propos d’une violence extrême et du coup les associations ont peur de s’impliquer. C’est pourquoi - en gros - elles laissent le débat se dérouler entre Aides, Act Up, Warning, Didier Lestrade et Femmes Positives [association de femmes contaminées par leurs partenaires dont certaines ont porté plainte en justice]. Je crois aussi qu’elles sont déroutées, désemparées. Le débat sur la pénalisation oblige à poser la question de la pertinence ou de la non pertinence actuelle des conceptions de la prévention telle qu’elles ont été pensées dans les années 80 et 90. Bien des associations voient parfaitement que les paradigmes traditionnels de la prévention ne sont plus acceptés par tous les gays et que les discours incantatoires ne fonctionnent pas. Mais les débattre les place face à un tel abîme qu’elles préfèrent s’y accrocher.
Lors d’une de vos interventions (septembre 2005), vous disiez que « du point de vue de la prévention, l’idéologie de la responsabilité partagée est aujourd’hui obsolète ». En quoi ?
Cette idéologie supposait que chacun était responsable de sa protection. Comme les dernières décisions de justice désignent un coupable, cette idée ne fonctionne plus. La prévention fondée sur cette idéologie s’appuie également sur le présupposé que le partenaire sexuel est potentiellement séropositif. Ce présupposé pouvait fonctionner à l’époque de l’hécatombe, mais aujourd’hui beaucoup de gays ne partagent pas ce présupposé et c’est pourquoi j’ai dit que cette idéologie, qui était globalisante, était obsolète. Nous touchons là à une question complexe, mais qui est un élément fondamental de la réflexion à Warning. L’évolution du mode de vie des gays, l’évolution globale de la société française avec l’acceptation du PaCS, du couple homo, la reconnaissance de l’homosexualité comme une sexualité spécifique légitime, l’exigence d’égalité de la part des LGBT avec les personnes hétérosexuelles ont des conséquences majeures. Par exemple, comme pour le couple hétéro, de plus en plus de gays estiment que le couple gay doit être fondé sur la confiance. Pour deux gays séroconcordants l’abandon du préservatif est de plus en plus une étape essentielle dans la construction du couple. Il est donc important dans une perspective de prévention, de prendre en compte ces réalités afin d’adopter des messages adaptés.
Quels effets auraient, sur les séropositifs, une pénalisation renforcée de la transmission du VIH ?
Les personnes séropositives subiraient une augmentation des attitudes discriminatoires à leur encontre car c’est le spectre fantasmatique du contaminateur qui serait agité dans la société. Elles vivraient dans une insécurité en cas de rapport avec un partenaire séronégatif car elles vivraient dans le système social du soupçon permanent. On peut penser que beaucoup de personnes séropositives craindront alors d’avoir des rapports sexuels avec des personnes séronégatives.
Comment se pose aujourd’hui la question de la pénalisation de la transmission du VIH chez les gays alors que de nouvelles approches de la prévention sont désormais connues ?
Je pense que la question principale actuellement pour les gays n’est pas la pénalisation mais la norme. Le développement des discours du soupçon à l’encontre des personnes séropositives et le ton de plus en plus agressif des campagnes de prévention favorisent le développement du sérochoix. Certains séronegs pensent qu’ils sont en sécurité s’ils n’ont des rapports qu’avec des séronegs et certains séropos pensent que des rapports avec des séropos uniquement, c’est des problèmes en moins. Surtout il y a la question des traitements. Si les personnes sous traitement sont peu susceptibles de transmettre le VIH alors la question de la pénalisation va se poser de façon sensiblement différente. La mise au point de microbicides efficaces changerait aussi fondamentalement la donne.